Étienne Bailleul
Texte : Etienne Bailleul & Camille Sultra
Photographies : Etienne Bailleul & Elodie Villalon
En juin dernier, alors que les premiers rayons de soleil faisaient leur apparition, Relief Mag est parti à la rencontre d’Etienne Bailleul, artisan ébéniste installé en Normandie. Véritable autodidacte, ses créations poétiques et délicates sont à l’image de ce garçon à la force tranquille.
Les quelques kilomètres qui précédent notre arrivée chez Etienne nous plongent dans une campagne normande verdoyante où le calme et la tranquillité semblent avoir pris possession des lieux. Nous apercevons soudain une jolie tiny house habillée de vert et de beige que nous reconnaissons bien, l’atelier d’Etienne. Dessinée et construite entièrement par ses soins, tout est pensé pour en faire un espace optimisé, fonctionnel et adapté à sa pratique. La décoration, sobre mais réfléchie nous donne l’impression d’être dans un petit chalet, doté de son poêle et de ses murs en bois. D’une superficie de 4m² seulement, Etienne a fait de ce micro-atelier son refuge créatif où il s’adonne à la fabrication artisanale de ses créations uniques.
Rencontre avec ce jeune artisan au futur très prometteur.
Quel est ton parcours ?
J’ai grandi à la campagne en Basse-Normandie, et aussi loin que je me souvienne j’ai toujours aimé fabriquer de mes mains. Mes études m’ont mené à une formation d’architecte paysagiste à l’ENSAPL, mais j’ai mis un terme à mes études lorsque l’envie d’exercer un métier manuel a pris le dessus. Ensuite j’ai enchaîné les boulots alimentaires pendant quelques années avant de m’installer comme artisan fin 2020.
Mon approche du travail du bois est très personnelle, exploratoire et intuitive car je suis autodidacte.
D’où vient ton intérêt pour le travail du bois ?
C’est avant tout une fascination pour le végétal et plus particulièrement pour les arbres. Au-delà de la matière il y a ces êtres vivants partagés entre ciel et terre et qui nous offrent tant de choses. Notre histoire est profondément liée au matériau bois et il y a pour moi quelque chose de très fort à le façonner de mes mains. J’ai été confronté très tôt au travail manuel et au rapport à la matière dans mon entourage, j’ai beaucoup observé et je me suis nourri des gestes avant de pratiquer. J’aime l’unicité, la beauté et la résistance du bois. Les arbres ont une longévité qui dépasse notre temporalité, sculpter le bois c’est un peu comme remonter le temps à travers des lignes qui se révèlent progressivement et racontent une histoire.
Quelles sont tes méthodes de fabrication ?
Mes mains sont mes outils les plus précieux. Elle me permettent de ressentir la matière, de tenir et manier les outils. Je travaille essentiellement avec des outils à main, principalement des gouges de différentes sortes, des ciseaux, couteaux et hachettes de sculpture.. Ce sont des outils fiables et précis, et qui deviennent progressivement une extension de la main. Mes machines se limitent à une petite scie à ruban et du petit outillage électroportatif. Je limite mon parc de machines volontairement car elles modifient ma pratique et accélèrent un processus qui chez moi a besoin de temps pour aboutir à un résultat de qualité.
Où trouves tu ton inspiration ?
La matière est elle-même inspirante et guide le geste car chaque pièce de bois est unique et possède une personnalité propre. Je suis très inspiré par les formes organiques et délicates du monde végétal, la morphologie des plantes et leurs petites architectures incroyables. Je m’intéresse également beaucoup à la richesse et la force des arts primitifs ainsi qu’au savoir-faire japonais dans le travail du bois.
Qu’est-ce que tes créations racontent de toi ?
Je suis plutôt minimaliste, et je m’exprime mieux avec mes mains qu’avec des mots. En ce sens j’aime les formes simples, laisser juste assez de matière pour obtenir des lignes épurées et délicates. J’accorde beaucoup d’attention aux détails et à la qualité de finition de mes réalisations. Il faut pour ça être assez méticuleux, et passer des heures à texturer les pièces à la gouge est pour moi un plaisir. Cela devient un état de concentration intense quasiment méditatif. Cette concentration est indispensable quand on travaille avec des outils au tranchant rasoir. Il faut se mettre dans sa bulle, aimer travailler seul. Je suis assez solitaire. La sculpture sur bois demande de la patience car c’est un processus qui s’étale dans le temps et peu d’erreurs sont permises, car lorsqu’on enlève de la matière on ne fait pas marche arrière..
Peux-tu nous décrire ton environnement de travail ?
Actuellement je travaille en Basse-Normandie (Manche) dans un petit atelier que j’ai fabriqué. C’est un espace simple et fonctionnel pensé pour m’apporter une belle lumière naturelle sur mon établi. C’est une situation temporaire qui présente pour moi son lot de contraintes, mais c’est aussi une chance. Je suis au calme au milieu des arbres fruitiers, loin du tumulte et de l’agitation des hommes. L'atelier, lui, est rarement silencieux. Je suis passionné de musique et il y a toujours du son pour rythmer les coups de maillet. Mon activité ne se limite pas à ce mini local, ce cadre me permet aussi de travailler en extérieur, pour préparer et déligner le bois, dégrossir les formes à la hachette ou herminette, ou pour les étapes de ponçage par exemple. Ça implique une certaine organisation en fonction de la météo.
Travailles-tu plusieurs médiums en même temps ?
Actuellement le travail du bois occupe la plupart de mon temps. Avant je pratiquais beaucoup le dessin, que j’ai délaissé ces dernières années. Je m’y remets progressivement ainsi qu’à la gravure sur bois. La photo est un autre moyen d’expression qui me sert à documenter mon travail. C’est assez ludique et j’essaie de progresser petit à petit.
Comment sources-tu ta matière première ?
J’utilise du bois sourcé localement. Je guette les petites annonces qui me mènent jusqu’à des particuliers ou bien des artisans du bois à la retraite avec de la matière en stock. Une partie du bois est surcyclé et provient d’anciens meubles. Je travaille avec des essences locales et je ne me fournis pas en scierie afin de ne pas créer une demande supplémentaire au sein de la filière bois. On me demande souvent combien de temps je mets à fabriquer un objet, mais la fabrication n’est qu’une petite partie de l’activité. Trouver du bois de qualité hors scierie implique de passer un certain temps à chercher et sélectionner, préparer et stocker le bois. C’est un tout, et un engagement personnel qui augmente la satisfaction une fois l’objet terminé.
Quels sont tes projets futurs ?
Du petit mobilier ainsi que des luminaires sont en projet, cela devrait voir le jour en 2022. Je travaille également sur des pièces plus sculpturales conçues à partir d’assemblages de petites chutes de bois issues de ma production. J’aimerais valoriser même les plus petits morceaux de cette ressource précieuse qui sont souvent trop chouettes pour finir dans mon poêle à bois. Et j'aimerais aussi accorder plus de temps au dessin, ça soulagerait un peu mes poignets !