Texte : Laura François
Photographies : Laura François

Pauline Dornat récupère, carde, file et tisse sa laine. Cette matière qui véhicule à la fois savoir-faire et universalité, lui sert de lien connecteur. À travers son projet 1030Blackwool, elle a pour objectif de valoriser la laine locale auprès des habitants de Bruxelles. Rencontre avec cette jeune femme engagée, à travers les mots et les photographies de Laura François.

Pauline Dornat est une jeune designer textile de 25 ans, originaire de La Rochelle. Ayant vécu à Paris jusqu'à ses 17 ans, elle choisit d'étudier le design textile à Bruxelles, à l'ENSAV la Cambre. Elle obtient son master en design textile en septembre 2019 et créé en suivant le projet 1030Blackwool. Passionnée par les matières naturelles et l'histoire des textiles à travers les cultures et les traditions, elle aime partager ses connaissances que ce soit dans la vie de tous les jours ou dans le cadre de ses ateliers. Pauline apporte par ailleurs une attention particulière à la transmission vers les enfants qu’elle considère comme l'avenir de notre société.

Sa rencontre avec la laine naît d’un déclic pendant ses études. Habituée à fréquenter de grands magasins pour se fournir en laine, elle prend soudain conscience de l’incohérence de son geste. Pourquoi s’approvisionner auprès de grands multinationales dont l’origine des matières premières est souvent inconnue quand elle pourrait utiliser la laine des 5 moutons de ses parents, vivant à seulement quelques kilomètres de chez elle ? Un artisanat local et engagé, c’est à cela que Pauline aspire.

« 1030Blackwool est un projet social et créatif dont l’ambition est de créer des moments de partage autour de savoir-faire artisanaux »

Le projet

1030Blackwool est un projet hybride dans lequel se côtoient « 50% de social et 50% de création ». L’idée est partie d’une envie de travailler avec une matière locale, la laine, et de créer du lien social avec les habitants du quartier autour des possibilités infinies offertes par la matière. C’est après un premier workshop réalisé avec l’institution communale la Maison Des Femmes de Schaerbeek que le projet a pu se concrétiser. Pauline rencontre alors David D’Hondt, éleveur urbain et son troupeau de brebis Zwartbles, race de moutons rustiques, originaire des Pays-Bas. Elle décide alors de créer 1030Blackwool avec la volonté d’ancrer très localement son nouveau projet. Cela commence d’ailleurs dès le nom, avec ces quatre chiffres 1030 qui représentent le code postal du quartier bruxellois Schaerbeek !

A partir de cette matière universelle, l’ambition de 1030Blackwool est de pouvoir offrir des moments de partage et d’expression, inciter l’échange, l’apprentissage et la sensibilisation autour du filage. Finalement, ce sont aussi des liens humains qui se tissent et des rencontres qui se créent.

Pauline met rapidement en place des ateliers dits de « transmission de savoir-faire » en lien avec des associations, des écoles ou entreprises, tout en restant ouverts aux particuliers. Feutrage, tissage, teinture, etc., les participants découvrent des méthodes et un savoir-faire ancestral, transmis avec douceur et bienveillance.

« La laine est un fil conducteur entre la richesse de multiples apprentissages »

Revalorisation et partage

A travers ses ateliers, Pauline propose des activités pour apprendre à transformer la laine de la toison au produit fini. Les ateliers sont destinés aux enfants comme aux adultes et se font de manière ponctuelle ou dans le cadre de plusieurs séances.

Comme l’explique Pauline, valoriser une laine locale c’est également redonner une place au travail artisanal en ville. Perçue comme désuète ou réservée aux (néo) ruraux, la laine est pourtant un matériau extraordinaire dont les usages peuvent aller du simple élément décoratif (pochettes, cache-pots), au textile (chaussons, maillots) en passant par l’habitat (isolation, confection de matelas). Eduquer aux métiers artisanaux et en partager tous les savoirs est ainsi une des lignes de force du projet de Pauline. L’emplacement de son atelier fait également sens et va de pair avec sa volonté d’agir à son échelle, ultra localement. Schaerbeek est un des quartiers les plus mixtes de Bruxelles et compte une forte population venant d’Afrique du Nord partageant une histoire et un savoir-faire en lien avec l’élevage de moutons et le travail de la laine. Cette diversité fait éclore avec elle un savant mélange de cultures, de savoir-faire et un renouement avec des connaissances artisanales ancestrales. La laine est un fil conducteur entre la richesse de multiples apprentissages. Cette mission de partage et de transmission, Pauline l’exerce également dans le cadre de partenariats avec des associations de réinsertion, implantées dans son quartier.

La technique

Lorsqu’elle ne transmet pas son savoir-faire, Pauline assure la création et la vente de pièces réalisées entièrement à la main. Son travail est organisé autour d’une démarche artisanale et éthique où tout le processus de création est supervisé par ses soins. Tout débute avec la tonte des moutons, réalisée une fois par an. De là est collectée la toison de laine brute qui est triée afin d’en retirer toutes les impuretés avant d’être lavée. Avec environ une quinzaine de kilos par an, Pauline peut débuter la fabrication de ses pièces.

Première étape, la laine est cardée à la main ou au rouleau afin de la brosser et homogénéiser la couleur de la toison. Cette étape peut être aussi utilisée pour mélanger différentes couleurs dans le cas de toison de races diverses. La fibre est désormais prête à être filée. Le filage se fait au fuseau ou au rouet à pédale pour plus d’efficacité.

Afin de mettre en couleur le textile, la laine se colore à l’aide de teintures végétales, technique de teinture qui utilise les propriétés tinctoriales des plantes au lieu de pigments chimiques. Enfin, il est temps de s’installer au métier et de commencer le tissage !

En soutenant les bergers urbains, Pauline embrasse la nécessité de valoriser chaque ressource locale sur son lieu de production avant d’en faire produire ailleurs. À l’heure où le consumérisme est encore trop présent et nos contacts humains virtualisés, elle propose de questionner nos choix et valeurs et de prendre le temps de travailler avec ses mains, être au contact de la matière, dans un lieu de rencontre et d’échanges, moments bénéfiques, voire essentiels, pour notre bien être.

« Ce qui est génial avec la laine, c’est qu’elle se façonne comme on le souhaite. On peut la feutrer, la filer, la teindre ou la thermoformer. Avec ses deux mains et un peu d’eau, on peut transformer cette matière. Et je trouve ça un peu magique. »