Catherine Blanchet
Propos recueillis par Bérénice Sultra
Photographies : Catherine Blanchet
Observatrice sensible du vivant, Catherine Blanchet révèle, de son coup de crayon épuré, la mystérieuse poésie du monde minéral. Dans un désir de sobriété assumée, l’artiste québécoise rend hommage aux pierres qui jalonnent les berges du fleuve Saint-Laurent en les tirant de leur anonymat.
Parce que nous en faisons le constat chaque jour, rompre avec l’incessante dynamique de stimuli qui nous environne n’est pas chose aisée. Catherine dessine pour se réapproprier la tranquillité d’un quotidien trop souvent compromise. La pierre, sublime et singulière, n’en devient pas moins un prétexte à la contemplation qu’une invitation à se dérober, l’espace de quelques instants, à l’effervescence de l’existence.
Dans cette ode à la lenteur, Catherine distille, au gré de ses mots et de ses dessins, le secret d’une intimité retrouvée.
Relief Mag a croisé le chemin de cette artiste dont le naturel se révèle aussi précieux que touchant.
Quel est ton parcours ?
Je suis originaire du Québec, plus précisément d’un village nommé Sainte-Croix-de-Lotbinière situé en bordure du fleuve Saint-Laurent. J’en suis partie pour suivre des études dans la ville de Québec où je vis actuellement. J’ai commencé à étudier l’histoire de l’art pour ensuite bifurquer vers les arts visuels, domaine dans lequel j’ai travaillé quelque temps avant de m’orienter vers le design de mode et de présentation.
Cela fait environ deux ans que j’ai renoué avec la pratique des arts graphiques.
D’où vient ton intérêt pour le dessin ?
Enfant, j’étais fascinée par des artistes comme Dürer et Van Gogh. Je m’exerçais à reproduire certains de leurs croquis repérés dans des monographies. Même si j’ai continué à dessiner au fil des ans, je n’avais jamais envisagé d’explorer sérieusement cette voie-là avant d’intégrer une école spécialisée. Lors de mes études d’histoire de l’art à l’université, j’ai été amenée à suivre un cours d’introduction à la pratique des arts. Ce fut un véritable déclencheur ; j’ai aussitôt abandonné mon cursus pour être admise à l’École des Arts visuels et en sortir, maîtrise en poche, quelques années plus tard.
Toutefois, durant mon parcours académique, le dessin est demeuré en filigrane sans jamais figurer au centre de ma pratique. J’étais plutôt intéressée par l’estampe et la sculpture. Je me définissais alors comme une artiste multidisciplinaire.
En 2010, un cap a été franchi lorsqu’une galerie d’art émergente m’a invitée à réaliser une exposition en duo à Québec. J’ai fait la rencontre du peintre canadien Paul Béliveau à cette occasion, à qui j’ai présenté quelques dessins que j’avais réalisés. Son accueil fut des plus enthousiastes ! Il m’a encouragée à poursuivre mes recherches avec ce médium auquel j’ai consacré dès lors une place plus importante dans ma pratique.
Comment définirais-tu l’esthétique de tes créations ?
Je cherche une forme de clarté et de simplicité dans mes dessins. Le vide, le blanc, a toujours occupé une place prépondérante dans mon esthétique. Je l’utilise pour mettre en valeur mon sujet, pour concentrer l’attention sur les qualités qu’il présente. A l’instar de la lumière qui se pose délicatement sur la pierre et en souligne les moindres aspérités. En ce sens, je pense que l’on pourrait parler d’une forme de minimalisme dans mon esthétique. Je cherche l’essence des choses, non pas dans un processus de synthèse, mais plutôt dans la somme des détails.
Quelles techniques privilégies-tu ?
En ce moment, je travaille principalement le crayon de couleur. C’est un médium qui peut paraître fastidieux et qui exige une certaine patience. La subtilité des teintes et des effets est obtenue grâce à la superposition de couches successives.
J’intègre aussi le crayon graphite dans mes œuvres, essentiellement pour créer certaines facettes de la pierre ainsi que des jeux d’ombres. La combinaison de zones en nuance de gris juxtaposées à la couleur apporte une certaine richesse de contraste au cœur du dessin. A ce titre, le graphite se travaille très différemment du crayon de couleur : on choisit sa dureté, on peut l’étendre, le frotter, et ainsi créer de subtils dégradés.
Finalement, il existe une cohérence entre ces techniques et ce que j’ai voulu privilégier dans ma vie quand j’ai décidé de me réapproprier la pratique des arts. Je souhaitais ralentir, me consacrer à une tâche en prenant le temps nécessaire pour la mener là où je le désirais. J’étais en réaction à une cadence de travail qui m’avait été imposée dans le secteur où je travaillais.
De ce fait, je rêvais de pouvoir m’attarder aussi longtemps que voulu sur des détails et de pleinement honorer les projets dans lesquels j’investissais de l’énergie. La création pure me donne désormais ce luxe.
Où puises-tu ton inspiration ?
Autrefois, j’étais une redoutable chercheuse de trésors dans les magasins de seconde main, les brocantes et les ventes de garage. J’y dénichais souvent des objets qui m’inspiraient de futures créations, non pas pour leur charge signifiante, mais pour leurs qualités esthétiques et plastiques. Aujourd’hui, mon processus reste le même mais je préfère me balader en pleine nature et m’intéresser aux infinies textures, couleurs et contours que celle-ci offre au regard.
En été, je passe beaucoup de temps avec mes enfants près de Montmagny, au Québec, où nous arpentons, pelle et chaudière [seau, ndlr] à la main, les berges du fleuve Saint-Laurent. L’estran y est large et se couvre, au gré de la marée, de cailloux aux diverses qualités.
Lorsque je me balade le long du littoral, j’aime glaner des roches dont les spécificités m’interpellent. C’est en sillonnant régulièrement ce lieu que j’ai commencé à m’intéresser au monde minéral et que l’envie d’étudier le motif géologique s’est précisée.
A bien des égards, la littérature m’inspire et stimule également ma créativité. Je pense que celle-ci m’aide à m’introduire dans l’épaisseur du réel. Par leur poésie, certains auteurs m’encouragent à être attentive à ma vie intérieure, à cultiver un état d’esprit de disponibilité et d’émerveillement. C’est le cas par exemple de Christian Bobin que j’affectionne beaucoup. Dernièrement, j’ai été soufflée par l’univers d’Anne Hébert, une grande écrivaine québécoise dont l’œuvre aurait dû atterrir entre mes mains bien plus tôt !
Ton processus créatif et ton environnement de travail semblent profondément liés. Peux-tu nous en dire davantage ?
En effet, mon environnement de travail est double. Il alterne, selon les phases du processus créatif, entre un espace en plein air et mon atelier.
Dans un premier temps, j’observe le paysage et j’élis certaines roches dont les contours me semblent dignes d’intérêt pour être reproduits sur papier. Ensuite, j’improvise un studio photo directement sur les berges. C’est l’étape de prise de vue des pierres qui serviront à la réalisation de mes prochains dessins. J’ai délaissé l’idée de collection et d’accumulation qui m’avait intéressée par le passé pour privilégier dorénavant le caractère éphémère du moment.
Je photographie les éléments et les rends ensuite à leur environnement naturel. Je m’efforce, à l’œil, de révéler des formes, de les faire surgir de la masse existante avant de les immortaliser en photo sur fond blanc. L’idée d’extraction de la forme se manifeste alors clairement dans la mise en espace de mes dessins sur papier. L’objet y est central, isolé, offert au regard sans distraction.
Mon atelier se situe, quant à lui, dans ma maison, à Québec. C’est un espace où s’empilent, coincés entre des cartons, beaucoup de papiers blancs, de livres ainsi que des dessins achevés que je n’ai pas encore dévoilés ! Installée à ma table de travail, je profite de la vue sur cour que m’offre la fenêtre qui se trouve juste en face.
Quelles valeurs souhaiterais-tu communiquer à travers tes créations ?
J’aimerais que mes dessins inspirent un moment d’arrêt, qu’ils reflètent une fenêtre où poser le regard. Lorsque je choisis les pierres, que je les dessine, je me sens particulièrement perméable à la réalité qui m’entoure. L’expérience de l’ouverture à l’instant présent m’est chère. Je prends une distance, je m’extirpe du quotidien sans avoir à frayer avec l’extraordinaire. Je m’enrichis de menus détails qui rendent mes perceptions plus poreuses.
Ainsi, je souhaite que ma propre sensibilité s’adresse à l’univers sensible des autres, qu’elle invite le regard à s’attarder sur les éléments qui composent notre environnement. J’aime entrevoir mon travail comme une forme de tête-à-tête avec mon sujet et je souhaiterais que le regardeur vive une rencontre similaire, que ce soit avec mon œuvre ou avec un objet qu’il ait lui-même choisi.
Pourrais-tu partager l’expérience d’une rencontre ou d’une collaboration artistique significative ?
Ma rencontre avec le peintre Paul Béliveau en 2010 a été déterminante dans mon parcours. De cette exposition en duo est née une solide amitié. Paul a fidèlement continué de me soutenir dans mes projets de création. Je le considère comme mon mentor car il est toujours disponible pour m’éclairer de ses conseils. En 2020, alors que je n’avais pas dessiné depuis des années, il a mis à ma disposition un espace d’atelier afin que je puisse me remettre au travail.
Je suis grandement reconnaissante qu’il me fasse bénéficier de son expérience pour m’épauler dans mon cheminement en tant qu’artiste.
Quels sont tes projets à venir ?
Dès que la neige aura fondue*, j’ai très envie d’aller ramasser des pierres sur les berges avec des amis qui m’ont fait la demande de commandes privées à destination de leurs demeures.
Présentement, je viens de terminer une œuvre commissionnée par la Maison Simons qui pourra être vue dès ce printemps dans leur nouveau magasin à Montréal. C’est ma plus grosse pierre jusqu’à ce jour et je suis impatiente de la révéler au public !
Enfin, je souhaite continuer d’enrichir mon corpus d’œuvres dans l’optique de réaliser une exposition. À suivre !
*propos recueillis en mars 2022