Violaine Buet
Propos recueillis par Eglantine Merle
Photographies : Elodie Villalon
C’est dans le Morbihan que Violaine Buet a choisi d’installer son studio de recherche et de développement créatif autour des macro-algues. Pionnière de leur utilisation dans les champs du design et de l’artisanat, Violaine développe avec singularité un savoir faire inédit : l’ennoblissement de l’algue.
Diplômée en création industrielle, elle se tourne vers la création textile en se formant par le biais de cours du soir et pendant un an à l’école des Arts Décoratifs, où elle pratique intensément le tissage. Après sept années passées en Inde, elle pose ses valises en Bretagne et débute en 2016 l’aventure de l’algue. Porteuse de qualités qui en font un matériaux d’avenir (croissance rapide, absorbe le CO2, antifongique, isolante, etc.), l’algue est transcendée sous les mains créatives de Violaine. Elle met au point des procédés pour la garder souple, la teindre, l’imprimer, la graver, la gaufrer, et la transformer en matière à tisser. L’algue se mue alors en matière précieuse qui trouve des applications dans les domaines de l’habitat, de l’accessoire et de la haute-couture.
Interrogée dans le cadre de notre reportage Artisans de la mer, Violaine nous partage les réflexions qui animent une pratique généreuse et passionnée, tournée vers une recherche d’harmonie entre la nature et l’homme.
Le tissage semble être votre technique de prédilection
J’utilise d’autres techniques, comme la maille, mais le tissage est quand même la technique de base dans mon dialogue créatif avec les algues. Je trouve qu’il offre un cadre à cette algue qui peut être complétement folle, organique, très kitsch ! Tisser est aussi un apprentissage de la rigueur et de la structure qui vient compléter ma personnalité assez intuitive. Le tissage est un également un bon partenaire de jeu : on peut s’amuser infiniment avec ce cadre technique une fois qu’on l’a compris et intériorisé !
Par ailleurs, le métier de tisserand véhicule des valeurs qui me touchent particulièrement.
C’est un savoir-faire lent. Tisser nous met en connexion avec le temps, la réalité de la matière et de la technique. C’est l’opposé de la spéculation en fait ! C’est aussi une pratique ancestrale et universelle. De fait, tisser nous reconnecte à nos origines, tout comme l'algue millénaire nous reconnecte à nos océans.
Comment êtes vous entrée en création avec l’algue ?
C’était à un moment charnière de ma vie, lorsque je suis revenue vers la Bretagne après de longues années à l’étranger. J’ai retrouvé mes terres d’origine, la mer, les rochers qui ont accompagné mon enfance, et suis tombée en amour avec l’algue de manière assez spontanée et instinctive. C’est ce matériau qui m’a aussi permis de trouver ma place dans le monde de la création.
Qu’est ce qui vous guide lorsque vous êtes face au métier à tisser ?
C’est l’algue qui me guide et je suis à son écoute. Je fais en sorte de pouvoir associer la force de l’algue qui est d’une richesse esthétique folle, à ma force de proposition.
En fonction de chaque algue, j’essaie de trouver ce qui la mettra le mieux en valeur. Il y a 700 espèces d’algues en Bretagne et selon leur maturité ou leur taux d’humidité, elles ont des aspects et des qualités différents. Les possibilités créatives sont infinies et on peut s’y perdre ! Depuis que je les travaille, je commence à bien les connaître et savoir celles que je dois choisir pour obtenir des effets spécifiques.
L’algue est une matière vivante, propice à l’exploration et au lâcher-prise. Je ne veux pas créer en enfermant l’algue dans une seule typologie de produit. Avancer de manière multidirectionnelle me force à sortir des sentiers battus.
Votre travail est protéiforme. Quelle est votre posture créative ?
Je me sens multiple, et j’ai justement bataillé pour ne pas avoir qu’une casquette. Avec mon projet algué, j’avance en équilibre sur un accord « cœur-corps-esprit ». Parfois je suis dans une méthodologie de designer, parfois je mets en avant mon regard artistique. Tantôt je suis récolteuse d’algues, artisane textile, « bidouilleuse » ou collaboratrice de chercheurs et biochimistes. Finalement, j’invente chaque jour mon métier.
Vous semblez vous inscrire dans la lignée des artistes « marcheur-cueilleur », à l’instar d’Hermann de Vries par exemple…
J’aime avoir les pieds dans l’eau et travailler la chaine entière de production. La posture du glaneur qui choisit minutieusement me convient totalement. La création commence dès la récolte de la matière première. Je m’appuie sur ce que la nature m’offre. Je ne pars pas seulement de ma tête, de mon désir et de mes besoins, mais je vais aussi voir ce qui m’est offert. C’est un bonheur de pouvoir se laisser guider par ce que je trouve sur l’estran.
Je récolte pour avoir un peu de stock, mais c’est en petite quantité. Je prélève la quantité que je vais pouvoir porter, sécher, traiter ; tout est à l’échelle humaine. Il n’y a pas de perte. Dans mon petit process, j’instaure une écologie.
Vos textiles algués sont magnifiques. Pouvez-vous nous les décrire pour nos lecteurs ?
Mes textiles sont lourds car l’algue conserve une certaine quantité d’eau pour rester souple. C’est pour cette raison qu’on les envisage davantage dans l’univers de l’intérieur ou de l’accessoire.
L’algue possède des transparences et de belles irrégularités ou des changements de couleurs qui se révèlent à la lumière et lui permettent de dialoguer avec elle.
Je dis souvent que mes tissages ont la force de plusieurs règnes : le végétal, l’animal et l’humain.
En effet, ces matières peuvent être douces comme la peau, mais également très texturées. Par exemple, la saccharina donne la sensation d’une peau de crocodile ou de lézard !
Mes tissages ont une odeur aussi ! Certaines espèces sont plus odorantes que d’autres. J’essaie d’atténuer l’odeur afin qu’elle ne soit pas gênante pour le public. Mais je n’ai pas envie de leur enlever cette particularité qui fait aussi leur authenticité, tout comme le cuir qui a sa propre odeur. C’est un point de recherche, comme la stabilité du matériau, que je souhaite pousser plus loin. Je manque encore d’un cadre de recherche multidisciplinaire qui accueillerait un regard de créatif dans un univers de scientifique.
De manière générale, je ne suis jamais face à des situations d’algues désagréables, en putréfaction, car je les récolte aux grandes marées, dans des eaux vivantes. Elles sont juste magnifiques !
Quelle est votre approche de ce matériau universel ?
Depuis des années l’algue est utilisée en extrait dans des secteurs industriels variés tels que les cosmétiques, ou l’agro-alimentaire. On l’utilise désintégrée, pour épaissir ou gélifier.
Mon approche est l’utilisation entière de l’algue. J’aime l’histoire et l’émotion du matériau entier, avec lequel on a un rapport plus artisanal et charnel. Utiliser l’algue entière impose de nombreuses manipulations avant tissage, ce qui induit que je ne peux produire en grande quantité. Avec l’algue, on est vraiment dans du sur mesure et du singulier.
J’ai d’ailleurs ce désir très cher de relier une algue et donc une esthétique à une géographie, avec l’idée par exemple que les tissages racontent l’histoire d’un lieu, d’un estran…
Le dialogue avec l’industrie est il à exclure ?
Il n’est pas à évacuer mais le process industriel, plutôt uniformisant, ne doit ni dénaturer ni épuiser cette ressource d’avenir locale. Je rêve que cette collaboration s’écrive lentement pour que l’on ait le temps d’inventer un système industriel innovant, respectueux et durable, permettant de gérer cette ressource. Est ce qu’on peut par exemple développer des techniques industrielles propres à chaque lieu de récolte, en prenant en compte un tissu économique et culturel local ?
Nous réfléchissons à ces problématiques avec « The Department of Seaweeds »,plateforme transdisciplinaire autour de l’exploration des algues comme ressource durable. Nous sommes huit membres dont quatre makers. Cette plateforme a été créée sous l’impulsion de Julia Lohmann qui est ma seaweeds sister ! On travaille toutes les deux ce matériau avec des approches différentes. Pour résumer, c’est un lieu de partage et d’impulsion créative autour du matériau algue, et à partir duquel on tente aussi de penser une philosophie du vivre ensemble.
A ce sujet, vous évoquez parfois la mésologie. Est ce une discipline fondatrice pour votre pratique ?
Je cherchais une terre d’ancrage pour mon projet algué. Je n’avais pas envie de l’asseoir dans le domaine du textile ou de la mer et j’ai trouvé dans la mésologie un lieu d’accueil passionnant. ensée notamment par Augustin Berque, la mésologie est une façon d’être au monde. Selon une tradition nippone ancienne dont le concept est issu, il s’agit de « recosmiser » le vivant, qui devrait former un tout unique avec le monde, le milieu, la nature.La mésologie s’oppose donc à la modernité occidentale qui a privé le sujet humain de cosmicité, en releguant “le monde” à l’état d’objet.
Quels sont vos projets sur le long terme ?
Je rêve du Japon justement ! C’est un pays avec des savoirs-faire textiles extraordinaires … et c’est le pays de l’algue ! Les asiatiques sont très étonnés par les matériaux en algue que je propose car pour eux, l’algue est avant tout un aliment !
J’aimerais aussi entraîner les algues vers les arts vivants. Les relier au mouvement et à la lumière dans l’univers impermanent du décor et du costume, avec un besoin de singularité forte, me passionnent.