Relief Magazine

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Et maintenant, on va où ?

Texte : Elodie Villalon
Photographies : Elodie Villalon


Avant-propos :

Lorsqu’Elodie m’a raconté son histoire, j’ai tout de suite eu envie de lui proposer d’écrire pour Relief. Son récit m’a inspirée, parce qu’il est loin des versions édulcorées que l’on a l’habitude d’entendre et de lire. Dans le texte qui suit, elle aurait pu vous expliquer comment elle a décidé de tout plaquer pour partir vivre seule à l’autre bout du monde en vous faisant croire que l’on peut quitter une vie pour en retrouver une autre, en claquant des doigts. Il m’a semblé que cela n’avait aucun sens et ressemblait plus à une storytelling d'Instagram qu’à une histoire sincère et authentique.

A la place, je lui ai proposé de nous livrer sa version, la brute, l’honnête, la vraie. De partager ses doutes, ses peurs, ses moments de solitude et les différentes étapes qui l’ont accompagnée dans ce chemin qu’elle parcoure depuis plus d’un an et demi.

Revenue en France il y a seulement quelques jours, elle a accepté de se prêter à ce petit exercice rétrospectif en nous racontant son parcours, depuis Paris jusqu’à son dernier roadtrip à travers le pays.

Ce texte est ponctué de ses photographies où l’on y découvre la beauté des paysages canadiens, la vie à la ferme, mais aussi des clichés de cette vie dénuée d’artifices qu’Elodie vit au quotidien. Vous pourrez également les retrouver sur son compte Instagram. Bonne lecture.


Et maintenant, on va où ?


C’est une des questions qui revient souvent : qu’est ce qui s’est passé dans ta tête ? Comment, toi, Elodie, tu décides (consciemment) de tout quitter pour partir seule à l’autre bout du monde ?

Comment alors tenter d’expliquer qu’à ce moment ce n’était plus ma tête qui cheminait mais bien mon cœur. Une énergie bien plus forte qui me guidait. 

Mon esprit, d’habitude si clair se retrouvait dans un brouillard qui l’empêchait de planifier, de contrôler ou même seulement de comprendre. Toute cette construction mentale si bien réalisée jusqu’ici, s’érodait. Ça devenait physique.
Parait-il qu’il y avait un avant et qu’il y aura un après.  

Avant c’était Paris, le boulot, les potes, les bars, le salariat. C’était clair. Mon travail consistait à gérer des projets artistiques sur mesure pour des marques et hôtels de luxe qui traduisaient malheureusement trop souvent art par valeur ajoutée. J’étais celle qu’on avait voulu que je sois et je m’en sortais bien. Je m’étais construite avec facilité dans une société où les femmes ont soit disant autant de chance de réussir que les hommes, malgré le fait qu’elles doivent redoubler d’efforts. Je me pensais féministe et écolo. Je pensais être à ma place. 

Et puis j’ai vite compris que cela n’allait pas le faire. J’étais trop décisionnaire pour mon boss et trop peu amoureuse de mon image pour le milieu. Je parlais éthique quand on me parlait de pub et d’art émergent quand on me parlait de réputation. 

Plus le temps passait et plus je sentais cette énergie monter. Mon mental quant à lui s’accrochait. C’était chez lui. 

Jusqu’au jour où il y eu bien plus de questions que de réponses. Après une énième réunion où mon corps bien trop instable me poussait à m’évader, je parlais à mon boss de mon départ et faisais ma demande de visa pour le Canada. Le principe du tirage au sort me plaisait. Si j’étais tirée, c’était un signe, je partais.

Quelques semaines plus tard et grâce à une bonne dose de chance, j’étais sélectionnée. Je quittais mon boulot dans la foulée, vendais mes meubles, quittais mon appart. Alors que Paris continuait d’inspirer, je laissais derrière moi toute cette stabilité anciennement acquise.

S’en suivit deux mois de vide. Ce vide d’après saut. Malheureusement pour moi il n’eut rien de silencieux. Toujours cette même dualité : mon coeur et ma raison n’avaient toujours pas trouvé de terrain d’entente et je passais avec de rares transitions de l’excitation à l’angoisse.

J’avais tout quitté, je souhaitais partir au Canada, mais pourquoi faire ? M’installer dans une ville et répéter ce même schéma ?

Je balayais les options. C’est ce que j’avais appris à faire. Penser. Analyser. J(a)uger. Puis décider. Cependant, aucun de mes plans ne me faisait suffisamment fantasmer pour passer à l’action. Je naviguais en eaux troubles. Troubles de l’anxiété, troubles du sommeil, troubles de l’humeur, la routine quoi. 

Je ressentais une profonde envie de changement et surtout, je souhaitais apprendre. Apprendre de mes mains, apprendre à créer. Trop longtemps derrière un bureau et trop souvent entourée de superflu, je rêvais d’authenticité. À force d’exploration je découvris toute une communauté d’entraide de fermes bio au Canada. J’en contactais quelques unes et fis la connaissance de Marie-Claude, 29 ans, qui débutait son exploitation seule. Ça a tout de suite matché. 

Dix jours plus tard, je l’attendais assise à l’arrêt de bus d’un petit village québécois. S‘enfonçant dans la nuit à bord de son gros truck ronflant, je compris que cette rencontre allait être déterminante.

Deux vies que tout opposait jusqu’ici, allaient s’entrecroiser et cheminer ensemble le temps d’un printemps. Cette première re-connexion aux éléments a dégagé l'horizon. Rien ne me prédestinait à passer mes journées dehors à cultiver la terre et pourtant je prenais petit à petit conscience de la joie intense qu’elles m’apportaient. 

De là s'en suivi une année et demi à sillonner le pays d’est en ouest, à voguer au gré des rencontres, des intuitions et opportunités à la recherche d'un lien avec la nature toujours plus fort et gratifiant. Ma vie de nomade et apprentie fermière a consisté en une succession de premières fois.

D’explorations en explorations, je n’ai cessé de m'éduquer à un mode de vie plus durable. Inspirée par la nouveauté et la beauté de la nature Canadienne, j’ai nourri ma créativité, la photographie et l’écriture devinrent mon exutoire pour documenter mes expériences. Bien sûr il y a eu des doutes, des séparations difficiles, des déceptions qui surexposent douloureusement les milliers de kilomètres qui me séparaient des miens. Pourtant, il n’a jamais été question de faire marche arrière ou d’abandonner. Le livre était ouvert, la machine lancée, impossible de lever le pied.

Parait-il qu’il y avait un avant et qu’il aura un après. 

Rentrée en France depuis quelques jours pour une durée qui m’est encore inconnu, mes proches me demandent : alors, c’était la der des der ? Le grand final ? Je leur réponds qu’il n’existe pas de ligne d’arrivée. Cette petite révolution perso n’était que le début d’une longue découverte de soi, un périple au cours duquel il me faudra continuer d’avoir confiance en mes choix, apprivoiser mes craintes et laisser toujours plus de place à l’imprévu.


découvrir le travail d’Elodie Villalon

www.elodievillalon.com

@elo.villalon


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